Publié le 22 mai 2024

Loin d’être une solution miracle, la mobilité partagée au Québec est un champ de bataille économique où les modèles d’affaires des plateformes entrent souvent en conflit direct avec les objectifs de mobilité durable des villes.

  • Les services de type VTC (Uber) tendent à cannibaliser le transport en commun plutôt qu’à remplacer la voiture individuelle, aggravant la congestion.
  • Seuls certains modèles d’autopartage, comme celui en boucle, démontrent un impact positif mesurable sur la réduction du nombre de véhicules privés.

Recommandation : Pour les régulateurs, la clé n’est pas d’interdire, mais de piloter activement ces services via la réglementation (tarification, partage de données, équité territoriale) pour les forcer à s’intégrer au système de transport collectif plutôt que de le concurrencer.

La promesse de la mobilité partagée est séduisante : moins de voitures, des villes moins congestionnées, une alternative flexible à la possession d’un véhicule. Des services comme Uber, Communauto, ou AmigoExpress sont devenus omniprésents dans le paysage québécois, se présentant comme les artisans d’une révolution verte et efficace. Chaque jour, des milliers d’usagers délaissent le bus ou leur propre auto pour une course en VTC ou un véhicule en libre-service, convaincus de faire un choix moderne et pragmatique.

Pourtant, derrière la simplicité de l’application se cache une mécanique économique complexe aux effets souvent contre-intuitifs. La plupart des analyses se contentent de comparer les coûts ou la commodité, sans questionner le modèle d’affaires sous-jacent. On oppose la flexibilité d’Uber à la rigidité du taxi, ou la disponibilité de l’autopartage au coût de possession d’une seconde voiture, mais on élude la question fondamentale : ces services contribuent-ils réellement au bien commun ou optimisent-ils avant tout leur propre profit, parfois au détriment du système de transport collectif qu’ils prétendent compléter ?

Cet article propose de dépasser ce discours de surface. L’angle adopté est celui d’un économiste des plateformes : analyser non pas la commodité pour l’usager, mais l’impact systémique de ces nouveaux acteurs. La véritable question n’est pas de savoir si Uber est plus pratique que le bus, mais de comprendre si son modèle économique ne vide pas les bus, fragilisant ainsi l’épine dorsale de la mobilité urbaine. L’enjeu est de déterminer si la « révolution » de la mobilité partagée est une avancée vers une mobilité durable et intégrée, ou si elle n’est que l’uberisation de l’automobile, une nouvelle façon de mettre plus de voitures sur les routes, mais avec une application.

Nous allons décortiquer les logiques contradictoires à l’œuvre, des effets pervers des VTC sur la congestion à l’impact réel de l’autopartage, en passant par le défi colossal de l’intégration des services (le fameux MaaS) et la question cruciale du contrôle des données. L’objectif est de fournir aux régulateurs, urbanistes et citoyens-usagers les clés pour distinguer les promesses marketing des effets réels et pour esquisser les leviers d’une véritable reprise en main publique.

Cet article plonge au cœur des modèles économiques qui façonnent nos déplacements. Le sommaire qui suit détaille les différentes facettes de cette analyse critique, des impacts sur la congestion aux enjeux de réglementation et de contrôle des données.

Comment Uber a rendu les bouchons pires (et a vidé les bus)

Le discours marketing des plateformes de VTC (Véhicule de Tourisme avec Chauffeur) comme Uber a toujours été centré sur l’optimisation et la réduction du nombre de voitures. Pourtant, l’analyse économique des impacts réels dresse un portrait radicalement différent. Le principal effet observé n’est pas le remplacement de la voiture personnelle, mais une cannibalisation modale des options plus durables. En clair, Uber ne remplace pas une voiture, il remplace un trajet en bus, en métro, à vélo ou à pied.

Les données sont éloquentes. Une étude menée à Toronto a révélé que près de 49% des usagers de VTC auraient utilisé le transport en commun si le service n’avait pas existé. À Montréal, la corrélation est tout aussi troublante. L’expert en planification des transports, Pierre Barrieau, souligne qu’Uber est un des facteurs majeurs dans la diminution de l’achalandage des autobus. Les chiffres confirment cette analyse : le réseau d’autobus de la STM a connu une perte de 34 millions de passages entre 2012 et 2018, une période qui coïncide parfaitement avec l’essor des VTC.

Cet effet a une double conséquence négative. D’une part, il aggrave la congestion routière en ajoutant des véhicules sur les routes, souvent pour des trajets qui auraient pu être effectués autrement. D’autre part, il fragilise le modèle économique du transport collectif. Moins de passagers signifie moins de revenus de billetterie, ce qui exerce une pression à la baisse sur les budgets des sociétés de transport et leur capacité à maintenir, voire améliorer, leur offre de service. C’est un cercle vicieux : un service de bus moins fréquent ou fiable pousse encore plus d’usagers vers la commodité apparente des VTC. Le coût de cette commodité individuelle est en réalité une externalité négative payée par l’ensemble de la collectivité sous forme de congestion accrue et d’un service public affaibli.

Autopartage : quel est le modèle qui vous fera vraiment vendre votre deuxième voiture ?

Si le modèle des VTC semble contribuer négativement aux objectifs de mobilité durable, celui de l’autopartage présente un tableau beaucoup plus nuancé et potentiellement positif. Cependant, il est crucial de distinguer les deux grands modèles : l’autopartage en boucle fermée (comme les débuts de Communauto), où l’on doit ramener le véhicule à sa station d’origine, et l’autopartage en libre-service (« free-floating »), où l’on peut laisser la voiture n’importe où dans une zone définie.

L’impact sur la possession de voiture individuelle est radicalement différent. Le modèle en boucle fermée, plus contraignant, est celui qui incite le plus fortement les ménages à se défaire de leur véhicule. En planifiant ses déplacements, l’usager apprend à rationaliser l’usage de la voiture, la considérant comme une option parmi d’autres et non comme le mode par défaut. C’est ce modèle qui produit les résultats les plus probants en matière de démotorisation. Une étude menée pour Communauto a ainsi démontré un impact significatif : chaque véhicule partagé selon ce modèle remplacerait en moyenne jusqu’à 8 véhicules privés.

Station d'autopartage en hiver avec véhicules enneigés dans un quartier résidentiel québécois

Le modèle en libre-service, bien que plus flexible, tend à reproduire certains comportements de la voiture individuelle et a un effet moins prononcé sur la décision de vendre un véhicule. Il sert davantage de complément ou de substitut ponctuel. Pour un régulateur public, cette distinction est fondamentale. Soutenir l’autopartage est une bonne chose, mais encourager spécifiquement le modèle qui a fait ses preuves en matière de réduction de la flotte automobile est une stratégie beaucoup plus efficace. C’est ce modèle qui permet de libérer de l’espace public (moins de stationnement requis) et de transformer durablement les habitudes de mobilité, en particulier pour les ménages qui hésitent à se défaire de leur deuxième, voire de leur première voiture.

Covoiturage pour aller au travail : le guide pour le faire en toute légalité (et être bien assuré)

Le covoiturage, qui consiste à partager son véhicule personnel avec d’autres passagers pour un trajet commun, est souvent présenté comme la forme la plus pure et la plus vertueuse de la mobilité partagée. Contrairement aux VTC, il ne s’agit pas d’un service professionnel mais d’une mutualisation des frais. Cependant, la frontière entre un simple partage de coûts et une activité de transport illégale est mince, et le cadre réglementaire québécois est très précis à ce sujet.

La loi est claire : un conducteur ne peut réaliser de profit sur un trajet de covoiturage. Il ne peut demander à ses passagers qu’une contribution qui n’excède pas les coûts réels du déplacement (essence, usure proportionnelle du véhicule, assurance). Toute rémunération allant au-delà transforme le conducteur en transporteur illégal, s’exposant à de lourdes amendes et à des problèmes avec son assureur en cas d’accident. Cette pratique, connue sous le nom d’arbitrage réglementaire, a vu une recrudescence avec l’émergence de groupes informels sur les réseaux sociaux. Les constats d’infraction pour transport illégal ont d’ailleurs quadruplé depuis 2021 à Montréal, signe que les autorités surveillent ce phénomène de près.

Pour les usagers comme pour les conducteurs, la prudence est donc de mise. Il est impératif de passer par des plateformes reconnues (comme AmigoExpress au Québec) qui structurent l’offre et s’assurent que les tarifs correspondent bien à un partage de frais et non à une activité commerciale déguisée. Du côté des assurances, il est essentiel de vérifier sa police. La plupart des assureurs privés couvrent le covoiturage occasionnel tant qu’il n’y a pas de profit. Cependant, si l’activité devient régulière et systématique, elle pourrait être requalifiée comme un usage commercial du véhicule, ce qui pourrait annuler la couverture en cas de sinistre. Une déclaration à son assureur pour clarifier la situation est une précaution indispensable avant de se lancer dans le covoiturage quotidien pour le trajet domicile-travail.

Comment passer du bus à un vélo partagé puis à une voiture de location, le tout avec un seul billet ? Le défi du MaaS

Le concept de « Mobility as a Service » (MaaS) est la grande promesse d’une mobilité urbaine véritablement intégrée. L’idée est simple : offrir à l’usager, via une seule application et un seul paiement, l’accès à un éventail complet de modes de transport (transport en commun, BIXI, autopartage, taxi, etc.). L’application se chargerait de planifier l’itinéraire optimal et de combiner les différents services de manière fluide. Au lieu de posséder une voiture, on achèterait un « droit à la mobilité ».

Au Québec, l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) travaille activement sur ce front avec son projet Concerto. En partenariat avec le fournisseur technologique Masabi, l’ARTM développe une solution billettique moderne qui constitue la première pierre de cet édifice. La possibilité de recharger sa carte OPUS via l’application Chrono depuis 2024 est une étape concrète. L’objectif est de créer une plateforme capable d’intégrer progressivement d’autres partenaires de mobilité. Comme le souligne Brian Zanghi, PDG de Masabi, une approche basée sur une plateforme infonuagique (SaaS) permet « une innovation continue et régulière, à un coût bien moindre » qu’un système fermé. L’ambition affichée est de lancer une première version de cette plateforme de mobilité servicielle dès 2024.

Cependant, les défis sont immenses et ne sont pas que technologiques. Le principal obstacle est la gouvernance. Pour qu’un système MaaS fonctionne, il faut que tous les acteurs – publics comme privés – acceptent de partager leurs données en temps réel (disponibilité des véhicules, tarification, etc.) et de s’entendre sur un modèle de répartition des revenus. Or, des géants comme Uber sont historiquement très réticents à ouvrir l’accès à leurs données, qui constituent le cœur de leur avantage concurrentiel. Convaincre des entreprises privées de collaborer avec une autorité publique qui pourrait, à terme, réguler plus étroitement leurs activités, est un enjeu politique et économique majeur, bien plus complexe que le simple développement d’une application.

Comment les villes peuvent-elles reprendre le contrôle face aux géants de la mobilité partagée ?

Face à des plateformes mondiales dont le modèle d’affaires consiste souvent à saturer un marché pour ensuite dicter leurs conditions, les municipalités et autorités régionales ne sont pas démunies. Elles disposent de plusieurs leviers réglementaires et fiscaux pour orienter le développement de la mobilité partagée vers des objectifs d’intérêt public. L’enjeu n’est pas d’interdire l’innovation, mais de la cadrer pour qu’elle complète le système de transport au lieu de le cannibaliser.

Un des leviers les plus directs est la fiscalité. La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) a par exemple franchi un pas important en instaurant une taxe sur l’immatriculation pour financer le transport collectif. Depuis janvier 2025, une taxe de 150$ par véhicule est appliquée dans la région métropolitaine. Cette approche pourrait être affinée pour cibler spécifiquement les véhicules commerciaux liés aux plateformes, en modulant par exemple la redevance selon le nombre de kilomètres parcourus à vide, incitant ainsi les entreprises à optimiser leurs opérations et à réduire la congestion inutile.

Au-delà de la fiscalité, les municipalités québécoises peuvent agir sur plusieurs autres fronts, comme le montre le tableau suivant qui résume les principaux outils à leur disposition.

Leviers réglementaires des municipalités québécoises
Levier de contrôle Application actuelle Potentiel non exploité
Permis d’exploitation Requis pour tous les opérateurs Conditions d’équité territoriale plus strictes
Redevances par véhicule Variables selon les municipalités Tarification dynamique selon les zones
Gestion du stationnement Places réservées pour certains services Monétisation pour financer le transport public
Accès aux données Limité et volontaire Obligation de partage en temps réel

L’obligation de partage des données est sans doute le levier le plus stratégique. En imposant aux plateformes de fournir un accès à leurs données de déplacement (anonymisées), les villes se donneraient les moyens de planifier, d’ajuster l’offre de transport public en temps réel et de vérifier que les opérateurs respectent leurs engagements, notamment en matière de desserte équitable de tout le territoire et pas seulement des zones les plus rentables.

Plan d’action pour un cadre réglementaire équitable

  1. Inventaire des services : Lister tous les services de mobilité partagée opérant sur le territoire et analyser leur modèle d’affaires (VTC, autopartage en boucle/libre, etc.).
  2. Analyse d’impact modal : Exiger des opérateurs des données pour évaluer la part de leurs usagers qui auraient autrement utilisé le transport collectif, la marche ou le vélo.
  3. Définition des conditions d’opération : Établir des critères clairs dans les permis d’exploitation, incluant des exigences d’équité territoriale (desserte des zones moins denses) et des plafonds sur le nombre de véhicules.
  4. Mise en place de la tarification incitative : Concevoir une structure de redevances qui pénalise les externalités négatives (ex: taxe par kilomètre, surtaxe pour les heures de pointe) et récompense les comportements vertueux.
  5. Cadre de partage des données : Rédiger une politique de données ouvertes pour la mobilité, rendant obligatoire le partage de données de déplacement anonymisées et en temps réel pour tous les opérateurs.

Le mythe du « 9 à 5 » : qui sont les nouveaux responsables des bouchons ?

Pendant des décennies, la congestion routière était un phénomène prévisible, concentré sur les heures de pointe du matin et du soir, causé par les navetteurs se rendant au travail. Or, la pandémie et l’essor du télétravail ont rebattu les cartes, sans pour autant faire disparaître les bouchons. Au contraire, la congestion est devenue plus diffuse, plus imprévisible, et toujours aussi coûteuse. Les estimations de la CMM chiffrent les coûts annuels de la congestion dans la région métropolitaine de Montréal à 6,134 milliards de dollars pour l’année 2023.

Les responsables de cette nouvelle congestion ne sont plus seulement les employés de bureau. L’explosion du commerce en ligne a engendré une augmentation massive du trafic de livraison. Camionnettes de messagerie, livreurs de repas, véhicules de services à la demande sillonnent désormais les rues tout au long de la journée, créant des pics de trafic en dehors des heures traditionnelles. Ce phénomène est particulièrement visible dans les centres-villes et les quartiers résidentiels denses.

Vue aérienne du trafic montréalais avec livreurs et véhicules commerciaux créant de nouveaux patterns de circulation

Cette transformation structurelle de la circulation rend le problème encore plus complexe à résoudre. Comme le résume crûment Marc Cadieux, PDG de l’Association du camionnage du Québec, l’expérience est universelle :

Depuis quelques années, tous ceux et celles qui pénètrent dans la ville s’arrachent les cheveux. C’est de plus en plus complexe avec tous les chantiers. Maintenant, il n’y a plus vraiment d’heure idéale, la congestion, elle est partout.

– Marc Cadieux, PDG de l’Association du camionnage du Québec

Dans ce contexte, le rôle des services de mobilité partagée est ambivalent. D’un côté, ils contribuent à cette « congestion diffuse » par les déplacements constants des VTC. De l’autre, des solutions comme l’autopartage ou le covoiturage pourraient aider à réduire le nombre global de véhicules si elles étaient massivement adoptées. La planification de la mobilité ne peut plus se contenter de gérer les flux du « 9 à 5 » ; elle doit désormais intégrer la logistique du dernier kilomètre comme une composante essentielle de l’écosystème des transports urbains.

Navettes autonomes et trottinettes : comment réglementer sans tuer l’innovation ?

Au-delà des modèles déjà bien implantés, de nouvelles formes de mobilité émergent, posant de nouveaux défis réglementaires. Les trottinettes électriques en libre-service et les projets de navettes autonomes sont deux exemples parfaits de cette tension entre innovation et nécessité d’encadrement. L’échec du projet pilote de trottinettes à Montréal, abandonné en raison du vandalisme et du non-respect des règles de stationnement, sert de mise en garde : une innovation déployée sans un cadre robuste est vouée à l’échec.

La clé pour les autorités publiques est d’adopter une approche de réglementation adaptative ou de « bac à sable réglementaire ». Cela consiste à autoriser des projets pilotes dans des zones géographiques ou des conditions limitées, afin d’étudier leur impact réel, d’identifier les problèmes et de co-construire les règles avec les opérateurs avant un déploiement à grande échelle. C’est la démarche adoptée au Québec pour les navettes autonomes, avec des expérimentations à Candiac, au Parc Olympique ou à la Cité de la mobilité de Mirabel. Ces sites servent de laboratoires pour tester non seulement la technologie, mais aussi l’acceptabilité sociale et les ajustements réglementaires nécessaires.

L’enjeu est aussi celui de l’équité territoriale. L’innovation ne doit pas être réservée aux grands centres urbains. Des projets comme TCiTé en Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine démontrent que la mobilité partagée et les technologies MaaS peuvent être des solutions pertinentes pour les régions moins denses.

Étude de cas : TCiTé, l’innovation en région

En Gaspésie, la Régie intermunicipale de transport (RÉGÎM) et plusieurs municipalités ont lancé le projet TCiTé. Ce service de mobilité partagée intègre des voitures et vélos électriques en libre-service ainsi que des services de taxi via une technologie MaaS. L’un des défis majeurs n’a pas été technologique, mais culturel : convaincre les employés municipaux, habitués à utiliser des camionnettes de service, d’adopter des véhicules électriques plus petits pour leurs déplacements professionnels. Ce projet illustre que l’innovation en mobilité est autant une question de technologie que de gestion du changement et d’adaptation au contexte local.

La leçon à tirer est qu’il faut encadrer l’objectif plutôt que le moyen. Au lieu de réglementer « la trottinette » ou « la navette autonome », la ville doit fixer des objectifs clairs en matière de sécurité, de partage de l’espace public, d’intégration avec le transport collectif et d’accessibilité. C’est ensuite à l’opérateur de démontrer que sa solution technologique peut atteindre ces objectifs de manière durable.

À retenir

  • L’impact d’un service de mobilité partagée dépend entièrement de son modèle économique : les VTC tendent à concurrencer le transport public, tandis que l’autopartage en boucle peut réduire le nombre de voitures.
  • La congestion a changé de nature, elle est moins liée aux heures de pointe traditionnelles et davantage à la logistique du dernier kilomètre (livraisons).
  • Les villes disposent de leviers puissants (fiscalité, permis, obligation de partage de données) pour reprendre le contrôle et forcer les plateformes à s’aligner sur les objectifs publics.

La révolution silencieuse de la data : qui seront les gagnants et les perdants du transport de demain ?

Au-delà des débats sur la congestion ou les modèles de véhicules, l’enjeu le plus stratégique et le moins visible de la mobilité partagée est celui des données. Chaque trajet effectué via une application génère une quantité phénoménale d’informations : origines, destinations, horaires, itinéraires, vitesses, etc. L’ensemble de ces informations constitue la « data de mobilité », le véritable or noir du transport de demain. Celui qui la contrôle détient le pouvoir de comprendre, prédire et influencer les déplacements à l’échelle d’une ville entière.

Actuellement, ce sont les géants privés comme Uber qui accumulent la grande majorité de ces données. Leur modèle d’affaires est basé sur cette maîtrise de l’information, qui leur permet d’optimiser leur flotte, d’ajuster dynamiquement leurs prix (le « surge pricing ») et de développer de nouveaux services. Cette privatisation de la donnée de mobilité crée une asymétrie d’information dangereuse. Les autorités publiques, qui sont responsables de la planification des transports, se retrouvent « aveugles », forcées de se baser sur des enquêtes périodiques coûteuses et rapidement obsolètes, pendant que les acteurs privés disposent d’un portrait en temps réel du pouls de la ville. Au Québec, la situation est frappante : à Montréal, les deux tiers des véhicules de taxi autorisés sont désormais des VTC de type Uber, ce qui illustre la concentration massive du marché et, par conséquent, des données.

La reconquête de la souveraineté des données de mobilité est donc le combat central pour les villes. Cela ne signifie pas espionner les citoyens, mais considérer que les données de flux agrégées et anonymisées sont un bien public essentiel à la bonne gestion des infrastructures. En rendant obligatoire le partage de ces données par tous les opérateurs comme condition d’obtention d’un permis d’exploitation, les villes se redonneraient les moyens de leur mission. Elles pourraient optimiser les trajets des bus en fonction de la demande réelle, identifier les « déserts de mobilité » non couverts par les services privés, et planifier les futures infrastructures avec une précision inégalée. À l’inverse, si cette souveraineté n’est pas affirmée, les perdants seront les services publics et les citoyens, dépendants d’acteurs privés dont l’objectif restera toujours l’optimisation de leurs profits et non l’efficacité du système global.

Pour bien saisir l’avenir du transport, il est crucial de comprendre que la bataille de la mobilité est avant tout une bataille pour le contrôle de l'information.

Questions fréquentes sur la mobilité partagée au Québec

Pourquoi les trottinettes ont-elles échoué à Montréal ?

Selon les analyses des autorités, le projet pilote de trottinettes électriques à Montréal a principalement échoué en raison du vandalisme élevé, du stationnement anarchique qui entravait l’espace public, et du non-respect généralisé des règles de circulation par les usagers.

Quels sont les projets de navettes autonomes au Québec ?

Le Québec sert de terrain d’expérimentation pour plusieurs projets de navettes autonomes. Des déploiements en conditions contrôlées ont lieu ou ont eu lieu notamment à Candiac, au Parc Olympique de Montréal, et sur le site de la Cité de la mobilité de Mirabel. Ces projets fonctionnent comme des laboratoires réglementaires pour préparer l’avenir.

Comment assurer l’équité territoriale dans le déploiement des nouveaux services de mobilité ?

Pour éviter que les services comme l’autopartage ou les VTC se concentrent uniquement dans les quartiers centraux et rentables, les municipalités peuvent utiliser leurs pouvoirs réglementaires. Elles peuvent notamment imposer, dans les permis d’exploitation, des zones de déploiement obligatoire qui incluent des quartiers périphériques ou moins denses, garantissant ainsi un service plus équitable pour tous les citoyens.

Rédigé par Jean-Philippe Tremblay, Jean-Philippe Tremblay est un analyste en politiques publiques fort de 15 ans d'expérience, spécialisé dans l'analyse des impacts socio-économiques des grandes infrastructures de transport. Sa perspective macroscopique est reconnue pour éclairer les décisions stratégiques.