Train moderne traversant les paysages du Québec, symbolisant l'espoir économique.
Publié le 17 mai 2025

L’avenir économique du Québec ne se jouera pas sur l’asphalte, mais sur l’acier : le rail est l’épine dorsale de notre future souveraineté logistique.

  • Le modèle du tout-camion fragilise l’économie par des coûts d’infrastructure élevés et une forte empreinte carbone.
  • Des investissements ciblés sur des « chaînons manquants » ferroviaires génèrent un effet de levier économique disproportionné pour les régions.

Recommandation : Prioriser la réhabilitation des tronçons ferroviaires stratégiques pour désenclaver les territoires, attirer des industries et renforcer nos chaînes d’approvisionnement.

Face aux impératifs climatiques et à la congestion routière qui asphyxie les artères économiques du Québec, le débat sur le transport de marchandises semble souvent tourner en rond. La solution par défaut, le camionnage, montre chaque jour ses limites : usure des routes, dépendance aux énergies fossiles et pénurie de main-d’œuvre. Pendant ce temps, une infrastructure colossale, héritage d’une autre époque, sommeille sous nos yeux : le réseau ferroviaire. On le pense lent, rigide, dépassé. Une simple alternative écologique, tout au plus.

Pourtant, cette perception est le reflet d’une stratégie incomplète. Et si le véritable enjeu n’était pas d’opposer le camion et le train, mais de les intégrer dans un système logistique intelligent et résilient ? Si la clé de la vitalité économique de nos régions ne résidait pas dans la construction de nouvelles autoroutes, mais dans la réactivation ciblée de quelques kilomètres de rails ? C’est le pari d’une vision stratégique où le train n’est plus un vestige, mais l’épine dorsale d’une économie plus forte et durable.

Cet article propose de dépasser les idées reçues pour analyser le potentiel concret du rail comme outil de souveraineté économique. Nous verrons comment, loin d’être un mythe, le transport ferroviaire moderne peut se révéler flexible et performant, comment des projets ciblés peuvent transformer des territoires entiers et comment, finalement, le train peut retisser les liens essentiels à la prospérité de tout le Québec.

Pour ceux qui préfèrent un format condensé, la vidéo suivante résume bien les enjeux économiques liés aux perturbations du réseau ferroviaire, soulignant son importance capitale pour la chaîne logistique canadienne.

Pour comprendre les mécanismes et les opportunités de cette transformation, il est essentiel d’explorer les différentes facettes du dossier. Cet article est structuré pour vous guider, du constat initial aux solutions d’avenir qui pourraient redéfinir la carte économique du Québec.

Camion vs rail : le match économique et écologique que le transport routier perd à plate couture

L’omniprésence du camion sur les routes du Québec masque une réalité économique et environnementale de plus en plus difficile à ignorer. Bien que le transport routier semble offrir une flexibilité inégalée, ses coûts cachés pèsent lourdement sur les finances publiques et l’environnement. Le transport ferroviaire, quant à lui, est souvent sous-estimé malgré des avantages structurels indéniables. Actuellement, selon les chiffres clés des transports, la part modale du rail dans le fret s’élève à seulement 10,4% au Québec, ce qui indique une marge de progression considérable.

L’un des arguments les plus forts en faveur du rail réside dans la gestion des infrastructures. Comme le souligne la Fédération des chambres de commerce du Québec dans un de ses rapports sur les infrastructures de transport, les coûts liés à l’usure des routes par le camionnage sont exponentiels. La FCCQ note que « les camions occasionnent une usure accélérée des infrastructures routières, nécessitant des investissements bien plus élevés pour la maintenance que le rail. » Chaque dollar investi dans l’entretien du rail a donc un impact plus durable que celui consacré à la réfection constante d’un réseau routier mis à rude épreuve.

Sur le plan écologique, la supériorité du train est encore plus nette. Un seul convoi ferroviaire peut retirer des centaines de camions de la circulation, avec des réductions drastiques en matière d’émissions de gaz à effet de serre, de pollution de l’air et de nuisances sonores. Le transfert modal du camion vers le rail n’est donc pas seulement une question de chiffres, mais un véritable choix de société pour un développement plus durable et une gestion plus saine des finances publiques. C’est un investissement stratégique dans la résilience à long terme de notre économie.

Les 50 km de rails qui pourraient changer la carte économique du Québec

L’idée de revitaliser le réseau ferroviaire peut sembler nécessiter des investissements colossaux, mais la réalité est bien plus nuancée. La stratégie la plus efficace ne consiste pas à construire de nouvelles lignes sur des milliers de kilomètres, mais à identifier et réactiver les « chaînons manquants » stratégiques. Ces courts segments de voie, souvent abandonnés ou sous-utilisés, sont la clé pour reconnecter des zones industrielles vitales au réseau principal, créant un effet de levier économique spectaculaire.

Un exemple éloquent est celui de la mine Carey, près de Tring-Jonction. Un investissement de 2,5 millions de dollars a suffi pour reconnecter ce site industriel majeur à la ligne ferroviaire Québec Central. Ce projet illustre parfaitement comment un investissement ciblé peut débloquer des flux logistiques majeurs, sécuriser des emplois et stimuler le développement régional. Ce n’est pas une dépense, mais un investissement dans la compétitivité d’une filière entière. Ces projets sont des multiplicateurs de richesse pour les territoires.

Carte illustrant les chaînons manquants ferroviaires stratégiques et leur potentiel sur l’économie du Québec.

L’impact de telles réhabilitations est mesurable et impressionnant. Une étude gouvernementale portant sur la ligne CFQC a révélé qu’après sa réfection, le taux de croissance annualisé du trafic ferroviaire a atteint 22% depuis 2014. Ce chiffre démontre une demande latente forte de la part des industries pour une alternative efficace au camion. Chaque kilomètre de rail réactivé devient une artère qui nourrit l’économie locale et la connecte aux grands marchés.

Le mythe du train lent : comment le rail devient aussi rapide et flexible que le camion

L’une des objections les plus tenaces au transport ferroviaire est sa prétendue lenteur et son manque de flexibilité. Cette image, héritée du passé, est aujourd’hui largement dépassée par les innovations technologiques qui transforment le fret sur rail. Loin d’être un géant endormi, le secteur ferroviaire intègre des technologies de pointe pour optimiser ses opérations et rivaliser avec la rapidité du camionnage, surtout sur les longues distances.

La digitalisation est au cœur de cette révolution. Des solutions de gestion de flotte, de suivi en temps réel des wagons et de planification intelligente des convois permettent une fluidité et une prévisibilité autrefois impensables. Comme le souligne Transports Canada, « l’essor du train-bloc, de la digitalisation et des wagons à chargement rapide ont permis au rail de concurrencer la rapidité du camion sur le long parcours. » Le concept de « train-bloc », un convoi dédié à un seul client et allant d’un point A à un point B sans arrêts intermédiaires, est un exemple parfait de cette nouvelle efficacité.

De plus, l’intelligence artificielle joue un rôle de plus en plus crucial. Des entreprises comme Alstom déploient massivement au Canada des systèmes d’IA pour la maintenance prédictive des équipements et l’optimisation des flux de trafic. Selon leur rapport d’impact, le Canada a largement déployé l’optimisation par IA en 2024 pour anticiper les pannes et ajuster les horaires en temps réel, rendant le service plus fiable. Cette approche proactive minimise les retards et garantit que les marchandises arrivent à destination dans les délais prévus, répondant aux exigences des chaînes logistiques « juste-à-temps ».

Comment un « port sans eau » à Drummondville peut rendre le port de Montréal plus efficace

Pour maximiser l’efficacité du transport ferroviaire, il faut penser au-delà des rails et des ports maritimes. Le concept de « port sec » ou de zone industrialo-portuaire (ZIP) intérieure est une pièce maîtresse de la logistique moderne. En créant des plateformes de transbordement rail-route à des endroits stratégiques comme Drummondville, on étend virtuellement les capacités du Port de Montréal jusqu’au cœur industriel du Québec. Cela permet de désengorger les accès portuaires et d’accélérer considérablement la distribution des marchandises.

Un port sec fonctionne comme un hub avancé. Les conteneurs arrivant par bateau sont directement chargés sur des trains et acheminés vers ce terminal intérieur. Là, les procédures de dédouanement peuvent être finalisées, et les conteneurs sont ensuite triés et chargés sur des camions pour les derniers kilomètres de livraison. Cette approche réduit le nombre de camions dans les zones portuaires congestionnées et optimise les trajets pour chaque mode de transport. Le rail gère la longue distance de manière massive et efficace, tandis que le camion assure la distribution fine et flexible en région. Il s’agit d’une véritable synergie rail-route.

Représentation d’un port sec moderne à Drummondville, connecté à un réseau ferroviaire, animant le rôle d’un hub logistique intérieur au Québec.

L’importance du rail pour les ports québécois est déjà une réalité. Selon une publication d’Innovation Maritime, près de 40% du trafic conteneurisé est expédié par rail dans les principaux ports de la province. Le développement de ports secs ne ferait que renforcer cette efficacité en créant un réseau de distribution plus résilient et moins dépendant des aléas de la circulation routière métropolitaine. C’est une stratégie gagnante pour la fluidité de toute la chaîne d’approvisionnement du Québec.

Les règles du jeu qui empêchent les trains de marchandises de rouler

Le développement du transport ferroviaire au Québec ne dépend pas uniquement des investissements en infrastructure ou des innovations technologiques. Il est aussi, et surtout, contraint par un cadre réglementaire complexe qui, bien que souvent conçu pour des raisons de sécurité ou de concurrence, peut involontairement freiner l’efficacité et la viabilité des opérateurs, en particulier des lignes locales.

Un enjeu majeur réside dans les règles d’interconnexion entre les grands transporteurs nationaux et les chemins de fer d’intérêt local (CFIL). L’Association des chemins de fer du Canada (ACFC) a souvent soulevé les défis que posent certaines réglementations. Dans un mémoire, l’ACFC avertit que des politiques d’interconnexion trop rigides peuvent nuire à la « viabilité économique des lignes locales ». Cette situation crée une incertitude qui décourage les investissements privés dans la maintenance et la modernisation des réseaux secondaires, pourtant essentiels pour desservir les industries en région.

Parallèlement, les normes d’exploitation, comme celles régissant les heures de service du personnel, ont un impact direct sur la flexibilité des opérations. Par exemple, la nouvelle réglementation fédérale limite la durée maximale des services à 12 heures pour des raisons de sécurité. Bien que cette mesure soit fondamentale pour prévenir la fatigue et les accidents, elle impose des contraintes logistiques supplémentaires, notamment sur les longs trajets, nécessitant une planification plus fine et potentiellement plus de points de relève, ce qui peut affecter la compétitivité par rapport au camionnage sur certains corridors.

Plan d’action : évaluer le potentiel ferroviaire de votre territoire

  1. Identifier les points de contact : Lister toutes les infrastructures ferroviaires (actives ou inactives) et les zones industrielles majeures de votre région pour visualiser les connexions potentielles.
  2. Collecter les données logistiques : Inventorier les flux de marchandises entrants et sortants (type, volume, origine, destination) pour quantifier la demande potentielle pour le transport par rail.
  3. Analyser la cohérence stratégique : Confronter le potentiel ferroviaire aux objectifs de votre plan de développement économique régional. Le rail peut-il attirer les industries que vous ciblez ?
  4. Évaluer la mémorabilité et l’impact : Repérer les projets de « chaînons manquants » qui auraient l’impact le plus visible et structurant pour vendre la vision aux partenaires et aux citoyens.
  5. Élaborer un plan d’intégration : Définir les priorités d’action pour réhabiliter ou moderniser les infrastructures, et identifier les partenaires (privés, gouvernementaux) nécessaires.

L’autoroute fantôme qui a tué l’économie d’une vallée.

Lorsqu’on parle d’infrastructures, l’inaction ou les mauvaises décisions peuvent avoir des conséquences aussi dévastatrices que le manque d’investissement. L’abandon et le démantèlement de certaines lignes ferroviaires au Québec ont laissé derrière eux de véritables « autoroutes fantômes », privant des régions entières d’un accès vital aux marchés et créant une « dette d’infrastructure » qui pèsera sur des générations.

L’histoire de la subdivision Vallée du CFQC, entre Black Lake et Sherbrooke, est une étude de cas tragique. Une étude d’impact commandée par le ministère des Transports a clairement démontré les effets néfastes d’un tel démantèlement. Le rapport conclut sans équivoque qu’une telle décision « réduit l’activité économique et l’attractivité des régions concernées ». En coupant cette artère, on ne fait pas qu’enlever des rails ; on isole des entreprises, on augmente leurs coûts logistiques en les forçant à se tourner vers le camionnage, et on décourage tout nouvel investissement industriel. C’est une condamnation économique à long terme.

Cette perte est d’autant plus frustrante que le potentiel de ces lignes est bien réel. L’abandon d’une voie ferrée est une décision quasi irréversible qui efface des décennies d’aménagement du territoire. C’est un actif stratégique qui disparaît, rendant beaucoup plus difficile et coûteux tout retour en arrière. Pour les municipalités et les industries qui se retrouvent ainsi enclavées, c’est une double peine : elles perdent un avantage compétitif et voient leur potentiel de croissance future s’évaporer. Le coût de l’inaction est donc bien plus élevé que celui d’un entretien préventif et d’une modernisation progressive.

L’autoroute ferroviaire : l’alternative au camion que vous sous-estimez.

Face au défi de la décarbonation du transport et de la congestion routière, le concept d’autoroute ferroviaire, ou ferroutage, s’impose comme une solution pragmatique et immédiatement efficace. Le principe est simple : au lieu de transporter uniquement les conteneurs, on charge les camions entiers (tracteurs et remorques) sur des wagons spécialement conçus. Cette approche combine la flexibilité du transport routier pour les premiers et derniers kilomètres avec l’efficacité et la faible empreinte carbone du rail pour les longues distances.

Au Québec, des entreprises comme TAB Rail Road sont pionnières dans ce domaine, utilisant des technologies avancées comme le système Modalohr, qui permet un chargement et un déchargement rapides et sécuritaires des camions. L’adoption de cette technologie n’est pas anecdotique ; elle a des impacts directs et massifs. Chaque convoi mis en service se traduit par une réduction tangible du trafic de poids lourds sur nos axes routiers les plus sollicités, comme l’autoroute 20. C’est une contribution directe à l’amélioration de la sécurité routière, à la réduction de l’usure des infrastructures et à la diminution des émissions de GES.

L’échelle de cet impact est impressionnante. Selon les données de l’opérateur, un seul train-ferroutage peut remplacer la circulation de 550 camions. Ce chiffre illustre le potentiel transformateur de cette solution. Pour les entreprises de camionnage, c’est aussi une réponse à la pénurie de chauffeurs et à la hausse des coûts du carburant. Le ferroutage leur permet d’optimiser leurs opérations, de réduire la fatigue de leurs conducteurs et d’améliorer leur bilan environnemental. C’est un écosystème gagnant-gagnant qui aligne les intérêts économiques et écologiques.

Au-delà de la logistique des marchandises, cette vision d’un réseau ferroviaire revitalisé porte en elle une promesse encore plus grande : celle de renforcer le tissu social et économique qui unit les différentes régions du Québec.

À retenir

  • Le rail est un levier économique sous-exploité, sa part modale actuelle de 10,4% représente une immense marge de progression.
  • La stratégie des « chaînons manquants » prouve que des investissements ciblés et modestes peuvent générer des retours économiques majeurs pour les régions.
  • Les technologies modernes (IA, digitalisation, ferroutage) rendent le train compétitif, flexible et essentiel à une chaîne logistique intégrée et résiliente.

Le train peut-il retisser les liens entre les régions du Québec ?

La valeur d’un réseau ferroviaire performant ne se mesure pas uniquement en tonnes de marchandises transportées ou en dollars économisés. Elle réside aussi dans sa capacité à connecter les territoires, à désenclaver les communautés et à renforcer la cohésion sociale à l’échelle du Québec. Dans un territoire aussi vaste, où les distances peuvent être un frein au développement, le train est un outil puissant pour rapprocher les gens, les entreprises et les opportunités.

Comme le formule très justement l’Alliance TRANSIT, « le train agit comme un formidable levier de cohésion territoriale et sociale pour les régions éloignées du Québec. » Un service ferroviaire fiable, qu’il soit dédié au fret ou aux passagers, est un signal fort envoyé aux régions : elles font partie intégrante du développement économique du Québec. Il facilite l’accès aux matières premières pour les usines locales et l’expédition de leurs produits finis vers les marchés, mais il peut aussi favoriser la mobilité de la main-d’œuvre et le tourisme.

Cette vision d’un transport collectif intégré est au cœur des politiques de développement durable. Les objectifs gouvernementaux visent d’ailleurs une bonification de 5% par an des services de transport collectif en région. Le rail a un rôle indéniable à jouer dans l’atteinte de cette cible. En agissant comme l’épine dorsale de la mobilité régionale, il peut structurer un réseau où autobus et autres services locaux viennent se greffer, créant un système véritablement efficace et accessible pour tous. Investir dans le rail, c’est donc investir dans l’équité territoriale et dans un avenir où chaque région du Québec a les moyens de prospérer.

En définitive, repositionner le train au cœur de la stratégie de développement du Québec n’est pas un retour en arrière, mais un bond en avant. C’est choisir un modèle économique plus résilient, moins dépendant des énergies fossiles et plus équitable pour l’ensemble des territoires. Pour concrétiser cette vision, une réévaluation des priorités d’investissement en infrastructure de transport s’impose dès maintenant.

Rédigé par Jean-Philippe Tremblay, Jean-Philippe Tremblay est un analyste en politiques publiques fort de 15 ans d'expérience, spécialisé dans l'analyse des impacts socio-économiques des grandes infrastructures de transport. Sa perspective macroscopique est reconnue pour éclairer les décisions stratégiques.